19.

Lundi 11 mars 1585

Le lundi matin aux aurores, avant de partir pour Saint-Germain, Nicolas Poulain se rendit chez Hauteville. Il pleuvait à nouveau. Toute la maisonnée dormait encore, sauf Thérèse et Olivier qui était venu ouvrir à son ami en chemise de nuit. Ils s’installèrent dans sa chambre où Olivier jeta une bûche dans la cheminée pendant que la servante allait chercher un bol de soupe au visiteur.

— Mon ami, je suis venu te mettre en garde contre Mlle Baulieu, déclara Poulain de but en blanc, sans même ôter son manteau.

Il sentit son ami se hérisser.

— Je suis allé au couvent des Filles-de-Sainte-Élisabeth, Olivier. Personne ne la connaît, et elle n’y a pas de tante malade, poursuivit-il, d’une voix égale.

— Pourquoi as-tu fait ça ?

— Pour la petite-fille d’un drapier, elle sait trop bien se battre, et tuer. J’ai tout de suite deviné qu’elle n’était pas celle qu’elle laissait paraître.

Olivier resta buté et silencieux. Il n’en croyait pas un mot. Il se souvint alors que Poulain n’avait jamais aimé Cassandre. Peut-être en était-il amoureux… et s’il voulait tout simplement qu’il se détache d’elle ?

— Ce n’est pas tout, poursuivit le lieutenant du prévôt. À l’auberge du Fer à Cheval, elle a écrit plusieurs lettres qu’elle a envoyées à Scipion Sardini. Tu sais qui il est ?

Olivier hocha la tête, la mine renfrognée et le regard sombre.

— Un proche de Catherine de Médicis qui est devenu l’un des principaux financiers du roi. Il a en charge la collecte de plusieurs aides[53], poursuivit Poulain.

Voyant qu’il n’avait pas convaincu son ami, il eut une grimace.

— Je suis désolé, Olivier, mais je crois qu’elle s’est introduite auprès de toi en te trompant, dans un dessein que j’ignore. Prends garde à toi. Je ne serai pas là de toute la semaine.

— Elle m’a sauvé la vie, Nicolas. C’est tout ce que je veux savoir d’elle, répliqua Olivier d’une voix glaciale.

— Tu as tort de ne pas vouloir entendre, mon ami, mais c’est ta vie.

Il frissonna en comprenant qu’il ne l’avait pas convaincu. Il se serra dans son manteau long et sortit, laissant le jeune homme désemparé.

Après son départ, Olivier s’habilla rapidement avant de passer dans la salle d’à côté où se trouvaient tous les dossiers. Même en se laissant entièrement absorber par son travail, il ne put s’empêcher de repenser aux paroles de Nicolas.

Cassandre lui avait-elle menti ? Non ! Son cœur se refusait à l’admettre. Elle avait risqué sa vie pour lui ; elle l’avait encore aidé la veille ! Peut-être même, grâce à elle, avait-il enfin découvert comment on rapinait les tailles. Elle ne pouvait être une ennemie !

Malgré cela, des questions troublantes le taraudaient. Son oncle, qui l’avait élevée, était protestant, lui avait-elle dit. Mais comment un juge au présidial pouvait-il être hérétique ? Angers n’était pas ville huguenote, même s’il croyait savoir qu’il y avait eu une église réformée et que le massacre des protestants après la Saint-Barthélemy, demandé par le comte de Montsoreau, le gouverneur de la ville, avait été interdit par les magistrats municipaux.

Et pourquoi – si Nicolas disait vrai – personne ne la connaissait au couvent des Filles-de-Sainte-Élisabeth, alors qu’elle lui avait assuré y visiter sa tante malade ? Pourquoi écrivait-elle à Scipion Sardini, l’un des plus gros financiers de Paris ?

Il se remémora soudain le bref entretien qu’il avait eu avec le premier commis de Sardini, lors de la messe pour le repos de l’âme de son père. Il avait ensuite revu M. Vivepreux au Palais, il l’avait d’ailleurs aperçu le jour même où Cassandre était tombée de cheval devant sa maison… Confusément, il songea soudain que ces rencontres n’étaient peut-être pas fortuites.

Il essaya de retrouver les mots qu’elle avait utilisés la veille, lorsqu’ils examinaient les registres des tailles, pour l’inciter à s’engager sur un chemin qui ne lui paraissait pourtant pas judicieux. En y réfléchissant bien, il se souvint que c’était elle qui avait proposé d’étudier les comptes du receveur Salvancy.

En frissonnant, il comprit alors que, d’une façon ou d’une autre, Cassandre était liée à Sardini et à Vivepreux. Progressivement, il prit conscience de son aveuglement et en vint rapidement à la cruelle conclusion qu’elle lui avait fait croire qu’il avait découvert seul que Salvancy était le responsable de la fraude, alors qu’elle l’avait dirigé depuis le début.

Tout cela ressemblait fort à un piège soigneusement préparé. Elle connaissait déjà, sans doute par Sardini ou Vivepreux, la vérité sur le rapinage des tailles. Sardini ne collectait-il pas des aides ? Il devait être informé de la fraude. Jusqu’où l’avait-elle manipulé ? Il se demanda même s’il ne s’était pas complètement trompé sur celui qui avait tué son père. Et si c’était Sardini, ou Vivepreux ?

Ou elle ? À cette idée, son cœur battit le tambour. Aurait-il pu tomber amoureux de celle qui avait tué sa famille ?

Comme son esprit battait ainsi la campagne et qu’il restait les yeux dans le vague, Le Bègue vint le rejoindre pour se mettre au travail. Olivier ne fit pas attention à lui. Au bout d’un moment, le commis interrogea son maître qu’il voyait en train de méditer au lieu de travailler.

— Monsieur, quelques paroisses assurent les plus fortes baisses des tailles collectées par M. Salvancy. Il faudrait consulter leurs rôles au tribunal de l’élection pour savoir de quelles familles il s’agit. Nous pourrions y aller maintenant…

— Allez-y tout seul, Jacques. Je vais rester ici, ce matin.

Voyant que son maître n’avait pas envie d’en dire plus, Le Bègue prépara un dossier et sortit.

Un peu plus tard, Cassandre vint trouver Olivier pour l’aider, comme ils en avaient convenu la veille. Il se força à être aimable avec elle et lui expliqua qu’il attendait le retour de Le Bègue pour se mettre au travail. Elle lui dit qu’elle allait alors accompagner Thérèse aux Grandes Halles, avec Caudebec, car il était nécessaire d’approvisionner la maison en nourriture.

Il acquiesça, content qu’elle et son cousin quittent la maison.

Après leur départ, ayant vérifié que Perrine était en bas avec Cubsac, il grimpa au deuxième étage et entra dans la chambre de la jeune fille, son ancienne chambre. Son parfum l’enivra et il se sentit honteux de se comporter en espion. Il hésita à ressortir, mais il brûlait trop d’en apprendre plus.

Il n’eut pas à fouiller longtemps.

Sur la table, il trouva une double sacoche de cuir, du genre de celles que l’on plaçait en travers d’une selle. Elle ne contenait pas grand-chose, sinon une brassière propre, des chausses, ainsi qu’une clef et une lettre.

La clef était celle de son père, celle qui avait disparu. Stupéfait, il resta un instant à la regarder. Puis, il prit la lettre qui était décachetée. Il l’ouvrit et la lut avec une certaine honte.

Ma chère nièce,

Je suis très satisfait que vous ayez gagné la confiance de M. Hauteville. Il faut maintenant qu’il apprenne rapidement que c’est M. Salvancy qui rapine les tailles royales et qu’il découvre comment il s’y prend. À la cour, on ne parle que des projets de M. de Guise qui achète des armes et négocierait pour la venue de régiments de lansquenets allemands et albanais. M. de Guise va avoir besoin d’argent et les neuf cent mille livres que M. Salvancy a sur mes comptes pourraient bientôt partir en Lorraine.

Je vous embrasse et soyez prudente.

Scipion Sardini, Baron de Chaumont, votre oncle affectionné.

Ainsi, tout s’expliquait, se dit-il après avoir relu la lettre. Scipion Sardini était au service de Catherine de Médicis ou du roi. Le banquier avait appris que M. Salvancy détournait les impôts au profit du duc de Guise et, ayant su que son père avait été occis pour avoir découvert la vérité, il avait envoyé sa nièce pour qu’elle l’aide à démasquer la fraude.

Cassandre n’était pas Mlle Baulieu d’Angers, elle était la nièce du banquier Sardini.

Elle s’était bien moquée de lui !

Mais était-elle hérétique ? Sans doute pas, car son oncle était réputé bon catholique. Il eut un peu honte de reprendre espoir.

Devait-il lui dire qu’il avait découvert son rôle ? Devait-il lui dire qu’il connaissait aussi celui qui était sans doute derrière Salvancy ?

Il relut la lettre. Il semblait que le banquier souhaitait seulement que l’argent détourné ne parte pas dans la poche du duc de Guise. Pourquoi n’avait-il pas directement dénoncé Salvancy à la chancellerie ?

Sans doute parce qu’il manquait des pièces à conviction, se dit-il. C’était lui, Olivier, qu’ils avaient choisi pour découvrir les mécanismes de la fraude… M. Séguier était-il dans la confidence ?

Ne sachant que penser, il remit la lettre à sa place.

Il s’aperçut qu’il avait gardé la clef à la main. Cette clef avait été volée à son père le jour où on l’avait assassiné. Comment Cassandre pouvait-elle l’avoir en sa possession ?

Était-elle impliquée dans la mort de sa famille ? Et Sardini ? Et Séguier ?

Il fallait qu’il le lui demande. Il ne pourrait continuer à vivre près d’elle si elle était une criminelle. Il remit la clef dans la sacoche, sous la brassière. Il sentit alors une feuille de papier qu’il sortit. En vérité c’étaient deux passeports. L’un au nom de Cassandra Sardini, née à Lucques, et l’autre au nom de Cassandre Baulieu, née à Angers. La description était la même et ils étaient tous deux signés par le chancelier, Philippe Hurault, comte de Cheverny.

Tout cela avait donc été manigancé à la cour, car qui d’autre aurait pu faire deux passeports aussi proches ?

Il rangea les papiers et resta encore un moment à méditer. Son regard s’égara sur le lit où elle avait dormi et cela l’émut. Il remarqua alors une légère bosse sous la courtepointe.

Il s’approcha et la souleva. C’était un livre.

Après l’avoir feuilleté, il redescendit dans la cuisine, les larmes aux yeux.

Il avait été doublement trompé.

Cassandre revint un peu plus tard. Caudebec portait de lourds paniers de légumes et elle paraissait toute joyeuse. Il la salua avec froideur et lui demanda fort sérieusement de pouvoir lui parler dans sa chambre seul à seul. Elle comprit qu’il avait fouillé ses affaires, comme elle le souhaitait, et qu’il avait trouvé ce qu’elle avait laissé en évidence, en particulier la lettre qu’elle avait demandé à Scipion Sardini de lui écrire.

Dans la chambre, il ferma soigneusement la porte tandis qu’elle restait debout, immobile et attentive près de la fenêtre.

— Mon ami Nicolas Poulain, qui est comme vous le savez policier, a le défaut de suspecter tout le monde. Il trouvait surprenant que vous maniiez si bien la brette aussi s’est-il rendu au couvent des Filles-de-Sainte-Élisabeth…

Il laissa sa phrase en suspens. Pour lui laisser le temps de se défendre.

— On ne m’y connaît pas, dit-elle d’une voix éteinte, et je n’y ai pas de tante…

Les larmes lui vinrent sans qu’elle ait besoin de jouer la comédie tant elle avait honte. Il lui fallait pourtant encore mentir. La douce Limeuil le lui avait affirmé : la vérité est si précieuse qu’elle doit être préservée par un rempart de mensonges[54].

— … Je suis la nièce de M. Sardini. Je ne sais si vous le connaissez, mais il est banquier, et il a découvert qu’un receveur des tailles, M. Salvancy, faisait de gros dépôts chez lui. Des dépôts sans rapport avec sa fortune. Il s’est ensuite aperçu que cet argent était parfois remis au trésorier du duc de Guise. Mon oncle a pensé que M. Salvancy fraudait sur les tailles qu’il encaissait, et qu’il remettait le fruit de ses larcins au duc de Guise. Il a pris peur, il pouvait être accusé de complicité et finir sur l’échafaud. Il ne savait que faire.

» Mon père a une banque à Lucques, j’étais à Paris depuis quelques semaines quand mon oncle m’a raconté l’histoire de M. Salvancy. À Lucques, j’avais l’habitude de travailler à la banque aussi j’ai proposé à mon oncle de déjouer les manigances de ce receveur des tailles. Lors d’un dîner, je me suis fait inviter par sa femme qui se pique de tenir un salon de poésie, j’ai simulé un malaise et on m’a conduite dans sa chambre pour que je m’y repose. J’espérais y trouver les quittances et les emporter, j’avais agi de même, une fois, à Lucques…

— Les quittances ? Quelles quittances ?

— Lorsque quelqu’un fait un dépôt dans une de nos banques, nous lui remettons une quittance qui est la preuve du dépôt. Sans quittance, le déposant ne peut reprendre son argent. L’idée de mon oncle était d’offrir les quittances au roi pour prouver sa bonne foi.

» Mais, ayant rapidement fouillé la chambre, je n’ai rien trouvé, sinon une clef. Le soir, j’ai questionné M. Vivepreux qui a reconnu le monogramme HV sur la clef. Il m’a ensuite parlé du terrible assassinat de votre père. Puisqu’il possédait une clef vous appartenant, j’en ai déduit que Salvancy était lié au crime et j’ai pensé que, par vous, je pourrais obtenir des preuves contre lui, et que celles-ci assureraient la protection de mon oncle et de notre banque.

» M. Vivepreux vous connaissait. Avec son aide, j’ai croisé votre route et je suis volontairement tombée devant votre cour pour faire votre connaissance…

Elle se tut un instant pour refouler ses larmes.

— … Vous m’avez offert votre confiance, votre amitié… plus peut-être… balbutia-t-elle, étreinte par une sincère émotion, et je vous ai menti pour aider mon oncle… Je suis parvenue à vous mettre sur la voie, hier, et sans la perspicacité de M. Poulain, vous n’auriez pas su que je vous avais trompé. Mais désormais, vous n’aurez aucun mal à démontrer les malversations de M. Salvancy. Vous le dénoncerez et mon oncle ne risquera plus rien. Sachez que je me méprise pour mon attitude. Je regrette profondément de vous avoir menti, et je vous supplie de me pardonner. Je quitterai votre maison cet après-midi et vous ne me reverrez jamais.

Comme on le voit, le récit de la jeune femme était un adroit mélange de mensonge et de vérité. Pourtant, elle ne mentait pas sur ses sentiments, elle se sentait réellement honteuse, surtout en sachant qu’elle trompait à nouveau Olivier, mais elle ne voulait plus abandonner maintenant qu’elle était si proche du but. Tout s’était déroulé comme le lui avait prédit la douce Limeuil. Et si tout se terminait bien, Henri de Navarre disposerait sous peu d’un million de livres qui feraient peut-être la différence pour sauver sa religion.

— Cette clef a en effet été volée à mon père… fit Olivier.

Il n’ajouta rien. Le coupable serait donc Salvancy ? Non, c’était impossible ! Son père ne le connaissait pas, alors qu’il connaissait l’autre… Salvancy n’était qu’un complice. En regardant le beau visage de Cassandre, il crut lire la sincérité dans ses yeux embués de larmes. Même si elle lui avait menti, tenta-t-il de se convaincre, c’était tout de même grâce à elle qu’il avait désormais tous les éléments pour terminer le contrôle des tailles de l’élection.

Elle ne lui avait jamais voulu aucun mal.

Pourtant, en songeant au livre caché sous la courtepointe, il savait aussi qu’elle lui cachait bien des choses, et qu’il ne pouvait plus lui faire confiance.

C’était une situation cruelle. Ils se jouaient tous deux la comédie. Il faisait le nigaud, et il ne l’était pas, elle contrefaisait l’innocente, quand elle lui mentait.

— J’ai encore besoin de vous, dit-il doucement. C’est mon cœur qui vous parle.

En disant ces mots, il se demandait pourtant s’il était sincère.

— Vous vous abusez, Olivier, répondit-elle, un peu trop froidement.

— Vous n’êtes pas protestante ?

C’était la question la plus importante pour lui. Elle secoua négativement la tête, mais sans ouvrir la bouche.

— Pourquoi m’avoir dit que vous l’étiez ?

— Pour que vous ne cherchiez pas à m’approcher.

Il se dirigea vers un coffret, posé sur une crédence, l’ouvrit, et en sortit une médaille.

— C’est une image de la vierge Marie, lui dit-il. Elle appartenait à ma mère. Je souhaiterais que vous la portiez pour moi.

Elle refusa, d’un autre mouvement de tête, mais il lui passa malgré tout la chaîne autour du cou.

— Je vous en prie, restez au moins jusqu’à vendredi. Nicolas reviendra et vous pourrez vous disculper auprès de lui. C’est important pour moi.

Elle acquiesça sans mot dire.

Le reste de la semaine se déroula comme si rien ne s’était passé entre eux. Ils ne parlèrent plus de Sardini. Avec Jacques Le Bègue, Olivier poursuivit l’examen des paroisses dont s’occupait Salvancy. Il se rendit à nouveau au tribunal de l’élection et, en étudiant sur quatre années les rôles des paroisses ayant connu les plus fortes baisses de leurs impôts, il découvrit que plusieurs bourgeois comptant parmi ceux qui avaient le plus de biens, et souvent se disant noble homme, avaient été exemptés de taille après avoir été récemment anoblis. Il s’agissait le plus souvent de noblesse personnelle, et non héréditaire, obtenue par achat d’un office anoblissant comme celui de secrétaire du roi, de conseiller à la maison et couronne de France, de conseiller-secrétaire du roi, ou encore d’audiencier. La plupart de ces charges ne conféraient la noblesse héréditaire qu’après vingt ans d’exercice, mais Olivier savait que ce temps pouvait être réduit par la grande chancellerie moyennant pécunes. La plupart étaient déjà propriétaires d’au moins une terre noble fieffée, ou d’une seigneurie, condition nécessaire pour acquérir un titre nobiliaire – le fief sent la noblesse, disait-on –, mais ils avaient payé le droit de franc-fief[55] avant d’être anoblis. Ces informations étaient la plupart du temps détaillées dans des feuillets annexés au rôle paroissial qui indiquaient que, soit le parlement de Paris, soit la chambre des comptes, avait enregistré leurs lettres patentes.

Ces documents étaient toujours visés par un élu et par le receveur. Ce dernier était à chaque fois M. Salvancy.

Mais si Olivier savait maintenant pourquoi les tailles avaient tant baissé, il ne comprenait pas comment Salvancy s’était enrichi, ni comment une partie de cet argent était allée dans les poches de M. de La Chapelle et de sa sainte union puisque les tailles n’avaient pas été payées. Se pouvait-il que ce soit en fermant les yeux sur de faux anoblissements ? À moins que le marquis d’O et Nicolas Poulain ne se trompent…

Pour en avoir le cœur net, il se rendit le jeudi à la grande chancellerie du Palais. Grâce à la lettre que lui avait fait parvenir le marquis d’O, il n’eut aucune difficulté à consulter les dossiers d’anoblissement soigneusement rangés dans des sacs.

La chancellerie gardait les doubles des lettres patentes et des lettres de provision, ainsi que les modalités de leur enregistrement. Avec un clerc, il passa la journée à faire des recherches sur une dizaine de riches roturiers, vivant dans deux paroisses différentes, et récemment anoblis, selon les registres des tailles. Mais il n’y avait aucun dossier d’anoblissement ou copie de lettre patente à leur nom.

Cela signifiait que les élus des paroisses où vivaient ces gens avaient accepté de fausses lettres d’anoblissement, mais savaient-ils qu’elles étaient fausses ? Pouvait-il s’agir de lettres patentes d’une qualité telle que leur fausseté était indétectable ? Cela lui paraissait difficile à admettre, car les lettres devaient porter le sceau vert de la chancellerie.

Il y avait là un nouveau mystère dont il parla, à son retour, avec Caudebec et Cassandre.

Ce fut Caudebec qui expliqua ce qui avait dû se passer :

— En province, l’usurpation de titres nobiliaires est fréquente pour ne pas payer la taille. Les roturiers propriétaires d’une terre noble fieffée présentent souvent aux receveurs de fausses chartes de noblesse, parfois si bien imitées qu’elles font illusion. La fabrication de fausse noblesse est devenue un métier pour certains faussaires et il est vrai que la possession d’un fief est souvent une solide présomption. Et puis, les contrôles sont toujours longs, car il faut aller vérifier au parlement qui les a enregistrées, ou à la chambre des Comptes, parfois même à la chancellerie. Mais dans le cas de cette fraude, c’est l’inverse qui a dû se produire : ce ne sont pas les roturiers qui ont cherché à se faire passer pour noble, c’est le receveur qui les a inscrits pour tels. Le receveur, ou encore l’élu… je ne sais pas. Celui-là a encaissé la taille du roturier, et comme cette taille était en surplus sur les rôles réels, il l’a gardée par-devers lui.

La méthode de la fraude proposée par Caudebec était habile bien que fort dangereuse. Non informé de leur nouvelle – mais fausse – noblesse et ignorant qu’on les utilisait, les roturiers auraient ainsi continué à payer leur taille à leur collecteur, sans savoir qu’elles n’apparaîtraient plus sur les rôles des élus, puisqu’ils étaient officiellement nobles et exemptés d’impôts !

Évidemment, une telle organisation avait dû demander bien des complicités, mais convaincre quelques élus de fermer les yeux moyennant pécunes et avantages n’avait pas dû être si difficile tant la corruption régnait dans l’élection de Paris.

Il restait tout de même que des lettres d’anoblissement avaient dû être présentées au bureau des finances, ou à un contrôleur des titres nobiliaires, pour qu’elles soient validées. Qui les avait faites ? Y avait-il complicité du chancelier ?

Incapable de répondre, Olivier décida d’aller en parler à Nicolas Poulain. Il était jeudi et il devait être chez lui à cette heure, car vêpres venaient de sonner, et puis ce serait l’occasion de faire la paix, se dit-il.

Il se rendit aussitôt chez son voisin, seulement le lieutenant du prévôt n’était pas encore revenu de Saint-Germain. Olivier expliqua donc seulement à son épouse qu’il avait hâte de voir Nicolas, car il avait beaucoup de bonnes nouvelles à lui donner.

Les rapines du Duc de Guise
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